BRUNO LEYVAL

MESSAGE #24 : Coded langage et Charlatan sacré

l’introduction de mots et de phrases sur le papier : jeux d’écriture et poésie fragmentée. une écriture en ébullition, anarchique, envahit l’espace telle une plante proliférante. elle accompagne les figures et les membres, les tâches de couleurs et les signes/symboles d’une iconographie personnelle, d’un langage intérieur. la magie incantatoire des mots, empruntés aux mythes constitutifs de nos sociétés, appelle des images qui appellent des mots, qui appellent des images...

Deux feuilles rayées. Sur la première :

L'Indien s'est faufilé vite. il est passé par la route. Il a passé la grille du silence. Il aurait pu hurler...
Ses cheveux noirs pendait sur les oreilles. Il était scalpé. spectaculaire. sang crâne les os sept points visage aux traits de Violence ?
- un truc sur la tête
- Quoi ?
- Sais pas.

La béatitude sur un visage, la présence d’un être effacé qui tourne autour d’une table en liège – peut-être en bois, qu’importe. Sous un meuble, au fond du couloir, une petite femme avec des ailes atrophiées simule un envol. Plusieurs sauts de puces sans se dévoiler à l’assemblée qui commence à se constituer. C’est un soir de glace, une nuit d’été. La maison est décorée de branches d’olivier. On célèbre un retour, une résurrection, le passage d’un ami disparu – un banquet.

Le Pape est mort dans la nuit. La radio rugit, en boucle comme une cloche. Voilà ! Voilà ce qui arrive quand on souhaite être immortel. Ça sonne le néant, encore et encore. La petite femme sautille, encore et encore. La présence pure. Les premiers invités portent des masques sans visage, sans formes, sans rien. Les boucles blondes qui s’échouent sur le plastique crème et la ficelle, frêle, qui tient l’ensemble et qui casse au premier geste de la tête. La façade s’écroule et sous le masque, il n’y a que le masque. Vide.

Le fauteuil est royal et je m’y installe pour un soupir. Sur la table en liège, un oiseau de bois et une bouteille de Mezcal. La larve danse au fond du verre à chaque saut de l’ange déchu.

une simultanéité d’informations contradictoires, qui ne prennent véritablement un sens qu’une fois assemblées. un souffle pictural et narratif. un mixage de documents, d’incantations, de références autobiographiques, d’agencements phonétiques, des interrogations, des dénonciations crépitantes, des rafales de mots issus de l’inconscient, de l’écriture automatique, des mass-médias, de la rue et de son langage, des graffitis sur les murs, du jazz au rap, musiques d’improvisation...

Un souvenir – une autre vie

Je ne suis rien, invisible parmi les invisibles, en coulisses du spectacle, j’accompagne Le Charlatan dans sa quête mystique. De ville en ville, de siècle en siècle, passé, présent et futur se mélangent, sur la route désertique, il cherche l’illumination – sûrement la rédemption, il cherche à devenir un homme bon et immortel.

Le Charlatan est un marchand ambulant, un imposteur céleste, un arracheur de dents. Il propose des produits miracles, des élixirs à base de jus de serpent, soi-disant, des potions divines ou des drogues hallucinatoires... Avec la facilité d’un discours fleuri, une bonne dose de facéties, il invite la foule à des orgies métaphysiques. Au centre du village, perché sur une vieille caisse en bois, devant sa roulotte rouge et or, il inonde de breuvages. C’est un petit bonhomme pathétique et grassouillet, mais qui dégage une aura flamboyante. Costume clair élimé jusqu’à la corde, chapeau haut de forme, un moineau endormi sur la tête, il sourit à pleines dents et regarde le ciel comme s’il attendait un signe, un top départ.

Ils sont tous là : aveugles et nains manchots, femme à barbe et cul-de-jatte, siamois et siamoises, idiots du village, prescripteur et homme de loi, curé aux abois. Face à cet attroupement, je ne peux m’empêcher de penser aux paroles de cet ancien clown alcoolique qu’était Capotino, personnage haut en couleur qui nous accompagnait sur la route des champs, il y a bien longtemps : « Regarde mon ami, ils recherchent l’invisible dans ce qu’ils voient ! ».

Capotino était le fils d’un chaman mexicain, assassiné par un producteur de sorgho, un soir de beuverie magistrale. Il avait reçu 22 coups de couteaux comme autant d’arcanes majeurs du tarot de Marseille. La Justice (arcane VIII) fut le dernier porté à la poitrine, coup mortel qui lui éclata le cœur comme un vieux pneu. Capotino avait huit ans ce jour-là, justement.

Tout n’est que tricherie, effet placebo sur âmes en peine. Je le sais puisque c’est moi qui remplis les flacons, à base d’huile d’olive essentiellement, en référence au discours du Mont des Olivier de l’Ancien Testament que Le Charlatan affectionnait tant. Je ne sais pas s’il croit aux vertus de ses produits, je pense que oui. Ce n’est que de l’huile d’olive... Juste de l’huile et du sacré... Peut-être !?!

Nous sommes prêts pour le spectacle médicinal, les bouteilles sont étalées sur la petite table en bois, bien alignées en ordre croissant. Le soleil les transperce et la lumière ocre se disperse sur le plateau en chêne sculpté. Deux petites têtes de bois autour d’un cercle avec au centre Ouroboros, le serpent mythique qui se mord la queue. La tête de droite, ronde et simpliste, presque enfantine, fait la grimace tandis que celle de gauche, plus détaillée et réaliste, est plus sombre et intrigante. Je n’ai jamais posé la question au Charlatan sur la signification de ces deux personnages. Je le ferai très prochainement.

Capotino a laissé quelques affaires avant de partir. Une écharpe tibétaine, une paire de lunettes et son dentier supérieur. Je les conserve précieusement dans un petit sac en toile de jute brun clair, comme les reliques d’un maître bouddhiste dont j’attendrais la réincarnation. J’espère qu’un jour un enfant les reconnaîtra. Je doute que le dentier lui aille, que les lunettes corrigent sa vue, mais l’écharpe aura certainement son utilité.

Des oiseaux en migration passent au-dessus de nous. Ils forment un V qui ressemble fortement à une équerre maçonnique. Une énorme fiente atterrit sur le plateau de bois sculpté, en plein au centre du cercle. Ouroboros est peint d’un blanc jaunâtre. Le Charlatan y voit un signe pour commencer et s’avance vers l’assemblée. J’attends un instant, espérant apercevoir le compas dans le ciel. Sa voix s’élève.

« On m’a méprisé, on m’a puni, on m’a maltraité... Mais je suis là devant vous, éternel parmi les éternels, et je suis là pour vous, pour vous aider, pour vous guérir ! »

La foule finit par adhérer au discours. Les ventes furent bonnes. Aucun compas maçonnique n’est apparu dans le ciel.

Le désert est un endroit propice pour observer des plantes en lévitation.
Le problème avec les mythes, c’est que l’on finit par y croire.

une mosaïque d’images intérieures, un esthétisme de la fragmentation, un zapping médiatique, un mélange de croquis, notes, logos, dessins déchirés, pages d’écriture griffée, rébus et déclinaisons, répétitions, brides de vies, œuvres inachevées, histoire de l’art remixée, recyclage, sigles, expressions à la mode, argot, de la tâche à la ligne, du collage dadaïste au cut-up beat, du festin nu à la figuration libre, une méthode, une pensée, un totem artistique imperméable au temps, un puits, un réservoir de mots et d’images réutilisables à volonté, toujours réactualisé, toujours réinventé...

Un retour – la lumière brûlante après un rêve sombre. Une fumée noire qui filète d’un bâton d’encens.

Le papillon de nuit est alcoolisé. Ses ailes ont collé sur le liège. Crucifié. Une dernière salve de cloches, encore quelques invités et le poète – certainement le plus grand des charlatans, au centre du salon, avec deux pages griffonnées à ses pieds. Sur la seconde :

tous les jours,
- tant et tant de fois un bon souvenir. pas suffisamment solide à chaque fois.
l retrouvée. le soir
- notre histoire.

brunoleyval.fr

26/04/2025


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