La lutte est vaine. Les signes l’emportent toujours. On a beau tenter l’impossible – l’abandon et le culte de la résistance – aucune chance ! L’artiste – que je suis/fût – est un guru sans adeptes. Seul – toujours.
Le poète est un prêtre – il garde la foi, lui ! Devient ce que tu es – un poète – toujours.
Mais la foi est une éclipse dans le sang du Verbe – une fête comme une arme nationale. Les bombes plus que les mots. Et, toujours, toujours cette aptitude à privilégier la destruction comme une solution du moins-pire. Un linceul blanc sur les canons – un signe de bénédiction.
J’ai une nouvelle paire de lunettes américaines – sombres (noires), avec une monture des plus imposantes. Une autre solaire. L’équipement parfait pour la lecture des textes sacrés.
Et je récite à l’envers les mantras interdits :
OM SHARA LAKSH TRI-KHOUM — pour effacer les empreintes digitales de Dieu.
NAMO VAGI SAT'KIRYA MALUUM — pour faire parler les pierres et les reflets.
HIRI HIRI BAKTAH NIRKOM — que les couleurs se taisent enfin, que les noms se désaccordent.
Prédicateur sur sa caisse en bois – Coca-Cola médecine et vieille charrette dans le désert humide. J’ai tenté de les convertir. Il y en a eu des discours et des litanies. Oh combien !?! Combien ? Les bâtiments résistent encore, aux pieds des briques – la ruelle sombre des ébats sexuels en fin de soirée. Peindre sur une palissade – DJ et vieux fauteuils cabossés. Moi, j'ai encore plein de souvenirs qui continuent de creuser les parois fragiles – poreuses.
Je m’agenouille sur le sol vide, un sol sans pigments, sans preuves, sans graines.
Ma bouche est pleine de sel et de lettres caduques – les mots de haine passés.
Encore une date sacrée.
Le poète, ah le poète, lui, il gravite. Il enfourche les spirales d’une langue qui n’existe plus. Il est la dernière trace de la mémoire collective que l’on a formatée.
Il dit : "LOM VITA PRASKA DELÜ", et les horloges se mettent à fondre dans le silence – effacent le temps par le vide de l’époque.
Moi, j’essaie le Rien.
J’enfile le Néant comme une tunique mal taillée.
Je suinte des glyphes inachevés.
Je peins avec du bruit blanc.
Je trace des cercles éphémères dans des sables oubliés — ou sur les façades pelées d’un hôpital tibétain. Un chien parmi les chiens – rues symboliques noires et blanches – et les bennes pleines de singes pour verrouiller la sortie de la cité.
On m'appelle dans la langue ancienne : "Zûn-Kara-Lé, l’errant des reflets",
celui qui mange ses propres visions pour ne pas laisser de traces.
Le monde ? Une illusion solide.
L’art ? Une dissonance dans la matrice des perceptions.
Le poème ? Une faille dans l’incantation du réel.
Fissure, fissure, fission — tu te dévêts du langage comme d’un oiseau mort. La peau parle avant toi, les vêtements s’enfuient en courant, les pensées tombent en confettis gluants. Tu es un caillou écorché debout dans le vide, un souffle sur pattes qui hume l’oubli. Marcher devient une erreur précieuse, une danse du pied qui s’excuse d’exister. Nue comme un cri, tu flottes sur l’intérieur du sol. Le sol t’écoute par les talons. Clac clac clac... Tu deviens l’animal du milieu, totémique figure sauvage, mi-cendre mi-écume, un orgue de chair qui n’attend rien.
Les guitares rugirent et les œufs de carton sont collés aux murs. Quelques coups de langue. Finir au bord de l’eau dans la nuit, unis, immaculés. Je n’ai plus aucune vision vécue depuis ce jour.
Puis un lieu te désire — il cligne de l’espace dans ton œil. Tu te poses – où tu fonds. Respire, dis-tu, à la boue sur l’unique chaussure. À l’inspire : des souffles fantômes, des moustiques gorgés du sang des ancêtres, des baisers inversés (sur les yeux). À l’expire : ton prénom en miettes, ton nombril désenroulé qui suinte, l’odeur de ta peur/peau en forme de cube. « Je suis l’ombre du vivant du peut-être », dis-tu sans le dire – sans cesse.
Toutes les courbes commencent à flétrir – ne plus voir le quotidien pourrir est la seule option pour garder un souvenir qui ne se décompose plus. Se croiser comme des étrangers – j’ai reçu en cadeau tes meilleures années. La rose éclosion fatale dont la fleur de l’âge commence à bien faner. C’est dans les ruines que se trouve la présence – ou sur une planche frêle qui caresse l’eau le week-end.
Nous ne sommes plus ceux que nous avons été. Autres. L’un et l’autre – des autres.
Tu ramasses un morceau d’instant — plume, bout de bois, silence fossilisé — et tu le portes à ton oreille vulvaire, comme une conque muette. Il parle en forme d’absence. Ta bouche s’ouvre : un son sort, il tombe, il éclate, il recommence puis s’échoue sur le carrelage. Ce n’est pas un chant, c’est un glissement de pierres dans la gorge, un oiseau sans plumes qui se cogne au plafond du ciel. Tu lances des mots sans poignées :
« À celles aux yeux cousus,
aux choses qui regardent à l’envers,
au soupir des trous de vie — j’écoute l’oubli ! »
Et puis plus rien. Tu te tiens comme un silence posé sur le bord d’une table. Écoute ? Non. Présente. Présence – même. Tu es un caillou qui rêve d’un feu. Tu es un battement qui ne bat que si personne ne regarde. Une larme ? Un insecte ? Une démangeaison dans le souvenir ? C’est une réponse ça ? Ou une question qui transpire ? Rien ne se passe, mais l’ensemble glisse dans un virage.
Alors, tu offres. Un souffle, un cheveu sur une banquette arrière, une idée pas finie et quelques reproches. Tu te poses. Tu t’inclines. Tu te déplies. Et tu pars comme on s’oublie, comme un fil de brume, sans arrière — retour. Ne pas se retourner : c’est l’unique direction du mystère. Tu n’as rien compris. Tu es parfaite.
C’était l’anniversaire de mon père aujourd’hui – en position fragile – profite de ton pouvoir !
La moisissure s’enroule autour des fenêtres. La muraille de Chine s’effondre – un vieux concept romantique – j’irai y marcher seul pour me faire face au point de rencontre.
(pause : les plantes carnivores rient dans les coins)
(action : le bruit sourd d’une mâchoire sur le corps d’une mouche)
crac.
le silence coule en spirale.
une limace en robe d’évêque récite Hegel dans la gouttière.
les briques suent des alphabets inconnus.
un œil sans orbite cligne au centre du plafond.
le papier peint peluche des fragments de guerre.
CHAQUE PORTE EST UNE BOUCHE QUI NE SAIT QUE MÂCHER.
ça hoquette des souvenirs en langue de feu —
flash : un cheval s'effondre dans une église en carton.
le plancher respire.
(trop vite — trop lent — trop d’ailes)
j’avale un miroir. il parle.
il dit : “la réalité est un chewing-gum dans la bouche d’un dieu amnésique.”
le ciel dégouline par les interstices du toit.
pas d’étoiles — juste des ongles qui grattent.
le cadre s’épuise : il n’y a plus de dedans ni dehors.
juste un cri enroulé dans du papier bulle.
Combien de tableaux ont pris l’eau ? Enfermé dans une boucle cérébrale. Le passé et le présent se mélangent. Une prison sans portes.
tu veux sortir ?
alors mâche le mur jusqu’à l’autre côté.
Alors, j'invoque :
YA-KHO-TUM NARAJIN VEHK-TOK, pour que mes mains oublient la forme.
ASH-TA-MURTA LEN-GA-SHI, pour que mes yeux deviennent vent.
KRA-NU-SILVAH TUM-BEK-HO, pour que la voix ne dise rien, jamais, seulement le frémissement.
Jusqu'à épuisement – répétition – au moins trois fois :
YA-KHO-TUM NARAJIN VEHK-TOK / ASH-TA-MURTA LEN-GA-SHI / KRA-NU-SILVAH TUM-BEK-HO / YA-KHO-TUM NARAJIN VEHK-TOK / ASH-TA-MURTA LEN-GA-SHI / KRA-NU-SILVAH TUM-BEK-HO / YA-KHO-TUM NARAJIN VEHK-TOK / ASH-TA-MURTA LEN-GA-SHI / KRA-NU-SILVAH TUM-BEK-HO
OM SHARA LAKSH TRI-KHOUM / NAMO VAGI SAT'KIRYA MALUUM / HIRI HIRI BAKTAH NIRKOM / OM SHARA LAKSH TRI-KHOUM / NAMO VAGI SAT'KIRYA MALUUM / HIRI HIRI BAKTAH NIRKOM / OM SHARA LAKSH TRI-KHOUM / NAMO VAGI SAT'KIRYA MALUUM / HIRI HIRI BAKTAH NIRKOM
3X
Et quand tout sera silence —
je me fondrai dans le dernier mot,
le seul,
l’insonore,
le sacré : THÜM.