BRUNO LEYVAL

MESSAGE #20 : Performance

Pourquoi nous faut-il de la démesure et des expériences chamaniques pour que nous redevenions cruellement humains ? Performance/Rituel contemporain. Considérée comme une abomination primitive — par sa nature chaotique élémentaire, elle est faite de ténèbres et de lumière qui s'annulent. Néanmoins, ce rien, contient Tout.

Oubliez les grandes icônes archaïques qui nous mettent en garde contre les dangers de la tentation et les conséquences du péché. De la débauche d'énergie, nous avons besoin. J'irai jusqu'à l'extrême, jusqu'à l'extinction... Jusqu'à la décomposition.

Et maintenant, la scène.

Un large trait fissure la soie. Une cicatrice qui traverse de part en part une jambe et le reste, en position de soumission – la posture animale.

Le corps est au centre, sur une scène abandonnée à la bestialité sous-jacente des spectateurs, des gens normaux venus créer du spectacle. Les premières notes sonnent le départ de la mise à mort artistique. Ils ne sont que les loups qu’ils nourrissent, et moi la proie et le sacrifice.

Voici venir l'hystérie des automates qui jouent aux fous dans un système paranoïaque. Un jeu de rôle avec des objets de fétichistes qu'ils partagent. Et le binaire, le digital. Ils sont ailleurs, au-delà, dans l'univers virtuel en immersion, les clones et les miroirs. Et le lapin s'approche du vide, ses oreilles tombent. Il n'y a plus de distance nécessaire, plus de spectacle. La scène est vide. La salle est vide. L'immersion est aliénante. Je ne pense plus à rien – l'hystérie peut me voir comme un objet de désir. Je me souviens d'un espoir, les prémisses d'une aube orangée, mais l'histoire ne sera pas réelle – artificielle, comme de la neige dans le désert.

Découpage – des morceaux de vêtement comme des lambeaux de peau. Les ciseaux qui creusent sous la pulsion. Se mettre à nu et attendre un possible déchaînement. L’offrande à la fausse normalité des fous. Il y a dans les yeux d’un aliéné toute la tendresse inaccessible de l’humanité.

En contrebas de la scène, sur une petite chaise à rabats, j’aperçois les grands yeux d’une perle noire qui cherche vainement du regard un espoir. La chemise est éparpillée au sol et le ciseau attaque la chair. Une grande femme filiforme aux cheveux roux prend le relais, et avec bienveillance, elle plante les lames dans le haut de mon dos. Elle trace un trait fin – comme pour relier deux points, avec une précision chirurgicale. Sans hésiter un instant, elle creuse un profond sillon, un chemin de sang qui semble indiquer une direction.

Images mentales pour désigner une situation. L’esprit s’éloigne. Je cherche de l’aide – une perfusion.

Les oreilles et la queue. Au final de toute performance, il ne reste que le point. Pousser le curseur assez loin pour tendre la main au passé. La déchirure rapide et nette ne laisse pas de place à l’autre, au sacrifié. Elle n’est qu’un acte de bravoure personnelle qui n’a pour unique but que de se soulager, d’apaiser sa conscience et de poursuivre son chemin l’esprit léger. Le pouvoir change de camp et la fragilité devient un bourreau pour se protéger du supplicié. C’est aussi une mise en abyme, une terrible solution pour se perdre et s’abîmer. On se salit à trop vouloir s’éloigner de la toxicité. L’innocence est un cadeau de la vie et, même pour contrer la souffrance, il est triste de s’en délester. C’était ta plus grande qualité. Maintenant que tu m’as achevé, que mon cœur trône sur l’autel, te sens-tu un peu mieux ? Ne nettoie pas mon sang sur les ciseaux, comme cela, ils font œuvre et tu pourras ainsi les encadrer.

La galerie est fermée pour travaux. Sur le trottoir, les spectateurs lèchent les restes de notre performance ratée.

brunoleyval.fr

— 10/04/2025

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