BRUNO LEYVAL

MESSAGE #27 : Une larme de châtaigner

J'écris aux premières heures de la journée et encore une fois, je ne peux pas recréer ce qui a disparu. Tout semble avoir disparu. Les cheveux attachés par un fil, un songe s’accroche à la racine, puis se détache en ricanant. Les rêves sont les travailleurs du sommeil. Ils se promènent la nuit entre les tombes de nos souvenirs. Ici repose. Entre les statues de marbre et les croix de granit, ils plantent des œillets dans le verre brisé multicolore qui recouvre les défunts. Il faut prendre conscience de l’impermanence des choses. C’est l’attachement aux choses éphémères qui crée la souffrance. Il y a quelques fleurs dans mon espace, autour du vide, elles parfument les mots. La fleur, ce symbole de l’impermanence, qui s’épanouit pour mieux défraîchir. Beauté fragile.

Et que le temps passe. C’est relatif, en fait ! Le temps. Le temps de le dire et le temps est déjà passé. Soit ! La fenêtre est pleine de buée et je ne distingue que vaguement le clocher d’en face. Une cigogne y a planté son nid d’hiver. Une goutte plus grosse que les autres s’abandonne soudainement sur la vitre – un départ fulgurant, pour finir par glisser lentement et s’échouer sur le rebord de bois. Il ne reste qu’une longue trace de son existence qui finira par disparaître avec le temps. En boucle, tourne un mantra qui célèbre l’impermanence – encore, une piste obscure qui s'est imposée sur mon écran lors d’une recherche infructueuse. Étrange comme un chemin peut mener à un autre. Un labyrinthe dans une coupelle de plastique qui emprisonne une bille d’acier – jouet d’enfance qui nous entraîne à chercher la sortie.

Sortir pour se perdre en présence des absents.

Les allées sont désertes à l’ouverture. Quelques personnes âgées déambulent sur trois pattes. Le cimetière est encore baigné dans la brume qui perle sur le visage des statues de saintes. La lumière mystique d’un matin d’hiver. Côte à côte, bien alignés en rangés, les ancêtres se reposent. Les dates n’ont plus d’importance, et les noms s’effacent avec prudence. Les morts résistent pour les vivants.

Les feuilles sèches de vie se regroupent au pied du tombeau – une alcôve qui peine à protéger les ruines du passé. La tête fracturée, la foi a sur l’épaule une larme de châtaigner.

Le gardien à la mémoire qui flanche, lui qui connaissait les histoires et la vie de tous ses pensionnaires. Un puits de savoir qui s’envole avec le vent. Des grandes batailles aux épidémies, des accidents aux maladies, des meurtres au sommeil éternel dans un simple lit, il avait pour chaque plaque une anecdote, un sourire ou un désespoir. Beaucoup de tendresse, même pour les salauds et les maudits. La sagesse de celui qui recueille les hurlements et les lamentations.

Litanie des longs hurlements

Il existe un moment
Un moment étrange
Un moment lent
D’une beauté sauvage

De longues supplications
Dans la cruelle cité
De longs hurlements
Dans la cruelle cité

Priez pour nous
Pour que le mirage se dissipe
Seigneur, priez pour nous
Priez pour nous

Je me retrouve perdu
Le long de la rivière
Au fond
Au fond de la rivière

Un souffle qui vient du nord
Il vient
Un souffle qui vient du nord
Il vient

J’ignore si tu prendras intérêt à ma plainte
Gémissement d’argent
J’ignore si tu prendras intérêt à ma mélodie
Gémissement d’argent

Et le Prophète s’avance
Sous ses pas germent les lotus
S’ouvrent les fleurs d’eau
Et la mare de lumière
Illumine le tableau

Nous sommes ici
Nous sommes ici
Prêt pour ton regard
Priez pour nous

Nous sommes ici
Nous sommes ici
Prêt pour ton regard
Priez pour nous

Et le Prophète s’avance
Sous ses pas germent les cœurs
S’ouvrent les âmes sombres
Et la foi de lumière
Illumine l’icône d’or

Nous sommes ici
Nous sommes ici
Prêt pour ton regard
Priez pour nous Seigneur

Nous sommes ici
Nous sommes ici
Prêt pour ton regard
Priez pour nous Seigneur

Et maintenant que les cris cessent, que son regard se gorge de larmes et de brides, que sa mémoire l’abandonne et que les noms s’effacent, le gardien se repose en miroir sur un banc face à l’alcôve.

brunoleyval.fr

— 09/05/2025

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