BRUNO LEYVAL

MESSAGE #32 : Les vagues poreuses

Bien des vagues qui s’échouent – les parois du crâne – et qui ne hurlent plus. Une tentative désespérée de contrôle. Accepter la chute après l’envol. Mutation. Sa vulnérabilité l'a rendue poreuse – sable et coquilles millénaires.

Et les fréquences hurlantes – des pointes de tension charnelle qui se connectaient aux ondes mortes des postes radio – ceux qui savent entendre entendent entendent entendent entendent entendent – entendent les murmures des cafards. Décomposée dans les ruelles synaptiques, elle glissait entre les fentes, dévêtue de logique, trempée de fluides anciens. Glitch – impulsion inopinée. Entre un neurone et un autre. Fracture. Reprogrammation cellulaire dans un motel humide – viens me modifier la conscience ! Allez, viens ! Le corps devenait archive – encodé, fragmenté, transmis... Pauvre et c’est tout !

Un spasme d’ADN usé par l’effort et le silence. Les machines intérieures se branlaient doucement dans le noir devant un public casqué – la lumière verte. Tu sais qu’ils nous regardent ? Les jambes écartées, mélangées sur le canapé recouvert de peau. Pas d’issue. Pas de destination. Un écran de fumée, une peau de poussière de Lune. Les spectres de la mutation rampaient sur les nerfs – images inversées de l’enfance, distorsion des souvenirs, voix maternelles tournant au vinaigre.

On va remplir des data centers à la con pour sauvegarder du vide – les photos du petit dernier la morve au nez, un plat de sushis, des nudes vérolés et autres pénétrations subtiles.

Elle pissait des alphabets oubliés dans le sable. Langue pré-humaine. Des signes et des symboles. Le cri d’un oiseau dans une gorge de plastique. Un couvercle de polymère sur la mer. Les couteaux s’échouent après le carnage. Tout est transmission. Même la douleur. Surtout la douleur. Le monde comme une gigantesque seringue qui injecte l’oubli à heures fixes. Canal TNT. Et parfois, la mémoire fuit : un goutte-à-goutte d’étoiles mortes, de visages mal collés sur des feuilles cartonnées – collage et cérémonie automatique.

Des mots en excès. Tuméfaction du langage. Elle devenait terrain vague – peuplée de restes, de signes abandonnés, de rituels jamais achevés. Mutation. Encore. Toujours.

Dans la boîte hermétique, les ongles noircis grattaient l’intérieur du réel – pellicule fine, membrane d’un monde usé, écaille qui se détache sous la langue. Des insectes en robe de messe chantaient des psaumes en code Morse, sur ses tempes bourdonnait la syntaxe du néant. Le linceul est imprimé par décomposition. Relique. Plus de dedans. Plus de dehors. La frontière explosée dans une gerbe de pixels humides – j’ai regardé les chaînes d’information jusqu’à minuit une.

Elle marchait – ou bien flottait – sur un trottoir déformé par les pleurs d’une divinité obsolète. Les bras multipliés qui dans l’espace tracent des formes géométriques obscènes. Chaque pas : une faille dans la narration. Chaque regard : une caméra brisée enregistrant un film interdit. Rush biographique. La mémoire ne suit plus. Les souvenirs changent de forme comme des méduses sous acide. Elle était une fiction coupée au montage, une scène censurée, une anomalie du plan.

Mutation – toujours. Les tissus se réorganisent à l’intérieur, des cartes anciennes gravées dans la moelle. Une cartographie des traumas, mise à jour en temps réel par des doigts invisibles. Elle saigne en glyphes. Chaque goutte une lettre, chaque lettre un cri. Mais les cris sont en sourdine maintenant, enveloppés dans du velours humide, le genre de silence qui précède les éclipses ou les guerres.

Guerre, guerre, guerre !

Le champ de bataille entre deux rangées d’immeubles crème. Les terrasses creusées par les impacts. Ils ont déjà tellement menti pour nous regarder mourir.

Le ciel suinte un bleu sale, la lumière suce les os lisses. Et au fond du crâne – dans la salle d’attente où le temps se masturbe – une voix : « Laisse-toi fracturer. Il n’y a pas d’autre issue. »

Et elle rit. Un rire cassé, débranché, un rire qui laisse tomber les dents. Poreuses – vaguement. Oui. Mais encore debout. Ou du moins, quelque chose qui y ressemble.

Les derniers nuages pudiques camouflent la chair fraîche.

brunoleyval.fr

— 27/06/2025

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